2011, une année à oublier

Le dossier de l’emploi constitue certes le cheval de bataille du nouveau Exécutif, mais les chiffres officiels en font davantage une véritable «guerre contre le chômage» et la précarité de l’emploi. Le gouvernement Benkirane, fraîchement nommé devra, de surcroit, s’atteler et «très vite» d’après les professionnels. La question qui se pose dès lors est de déterminer ce à quoi il faut s’atteler exactement ? Les stratégies n’ont eu de cesse d’être annoncées mais le «léger» recul du chômage à 0,2% semble loin du compte. La grogne que connait le pays face à cette problématique n’est donc pas prête de s’éteindre, d’autant plus que les diplômés chômeurs, premiers revendicateurs, restent les plus touchés par ce fléau (www.lesechos.ma). Il n’est une surprise pour personne que les 0,2% relève plus de la stagnation que d’une réelle évolution positive. La population active en chômage a certes régressé de 0,9% au niveau national, selon le dernier rapport du HCP, passant de 1.037.000 en 2010 à 1.028.000 chômeurs en 2011, soit 9.000 chômeurs en moins, mais le taux de chômage continue d’enregistrer 8,9% en 2011 contre 9,1% pour l’année 2010. Ce qui pourrait être d’autant plus décevant est de savoir que ce qui sauve la mise à ce bilan assez terne, reste le développement du secteur informel, au moment même où de nombreuses stratégies sont développées pour lutter contre. C’est à juste titre ce qui pourrait nous mener à la réflexion suivante : Quelle est véritablement l’efficacité et l’effectivité des plans de lutte contre l’emploi précaire et informel ? Pour l’heure, la réponse qui semble se poser d’elle-même ne serait... pas grand-chose.
 
L’informel sauve la mise

La précarité et l’informel semblent donc avoir été les deux mots d’ordre qui motivent aujourd’hui la légère hausse des emplois créés. Ces derniers ont, pour la plupart, concerné le secteur du BTP qui emploie généralement des profils constituant une main d’œuvre très peu qualifiée et surtout à faible coût. Au total, le bâtiment aura créé plus de 30.000 postes d’emploi (soit une hausse de 2,9%) contre une moyenne annuelle de 63.000, au cours de la période 2008-2010. Ce constat n’est, en effet, pas très glorieux puisqu’il remet sur la table la problématique de l’économie marocaine. «La prédominance de l’emploi de faible qualification renvoie à la structure de l’économie nationale et au niveau de la productivité de ses composantes sectorielles. L’amélioration de la croissance n’a pas été accompagnée par un changement notable des structures économiques, en faveur des activités à haut contenu technologique», note le HCP. D’après les chiffres publiés, les secteurs de l’agriculture, du bâtiment et des travaux publics (BTP), ainsi que des services continuent à participer pour 80% à la valeur ajoutée totale pour constituer les principaux moteurs de la croissance économique. À en croire les explications du Haut commissariat au plan «ces secteurs se distinguent par la faiblesse de leurs multiplicateurs d’emplois, et notamment d’emplois qualifiés. Avec une création de 10 emplois directs, le Bâtiment et les travaux publics ne créent que 2 emplois indirects». Intensifs en emploi, ils ne participent donc que peu, plus directement qu’indirectement, au recrutement de la main d’œuvre qualifiée. En moyenne, 65% de l’emploi cumulé créé par ces secteurs s’adresse à une main d’œuvre sans qualification et pour 30% à des aides familiales. Cette analyse nous amène donc à nous tourner vers le patronat. Le secteur privé est-il passé à côté de son rôle de générateur d’emplois ? Celui-ci ne recrute pas vraiment, et encore une fois à cause du «manque de ressources humaines employables». Un déficit en relève donc un autre, celui de la formation. Garantir l’emploi pour tous relève certes de la nécessité, cependant prédisposer les futurs employés en leur présentant des formations adéquates devient plus que vital. Le programme gouvernemental présenté dernièrement, aura consacré la place stratégique de l'éducation et la formation dans la politique générale. Le gouvernement promet ainsi de «promouvoir la bonne gouvernance et la qualité de l'enseignement tout en accordant l'intérêt nécessaire aux cadres pédagogiques». Le ton ainsi donné laisse entrevoir une véritable prise en main de ce secteur boiteux qu’est la formation et dont nombre d’acteurs économiques se plaignent, le qualifiant de «médiocre».
 
Une remise en cause s’impose

Un autre volet sur lequel la remise en cause devra porter, d’après le dernier rapport du HCP, est celui de la disparité entre le milieu rural et le milieu urbain. Voilà une question qui pourrait conduire à une nouvelle piste de réflexion. Les derniers chiffres publiés par le Haut commissariat au plan indiquent que le volume du sous-emploi des actifs occupés âgés de 15 ans et plus a connu une régression de 1.208.000 en 2010 à 1.106.000 personnes en 2011. Dans le détail, il est passé de 515.000 à 490.000 personnes dans les villes et de 693.000 à 616.000 dans les campagnes. Le taux de sous emploi est passé 10,0% à 9,3% en milieu urbain et de 13,2% à 11,8% dans le rural. C’est ici un point supplémentaire qui devra être annoté à la nouvelle stratégie gouvernementale, et ceci afin d’espérer réduire ces disparités ou encore ces inégalités des chances. C’est aussi ce qui pourrait justifier, en quelque sorte, l’appel émis par la CGEM, d’une tenue urgente d’un sommet social. Celui-ci serait alors l’occasion de rassembler tous les acteurs économiques et gouvernementaux autour d’une même table de discussion afin de mieux établir les failles à combler.
 
Jamal Belahrach,
Président de la commission emploi de la CGEM.
«Le marché manque de ressources qualifiées»
 
 
 Le HCP vient de publier les derniers chiffres de l’emploi qui ressortent un léger recul du chômage. Quelle est la réaction du patronat ?

Jamal Belahrach : La dernière enquête HCP lève le voile sur une percée du secteur informel. C’est surtout ça qu’il faut relever. Ce constat doit nous amener à nous interroger sur la manière dont nous structurons les différentes stratégies adoptées jusque-là dans l’emploi. Notre économie reste de fait relativement faible, ce qui justifie cette tendance de forte employabilité de l’informel. Il faut à mon sens, aujourd’hui, mettre en place une vraie stratégie qui répond à une réflexion de fond. Les 105.000 créations d’emplois ne sont pas du tout suffisantes. Il est donc temps de réagir.
 
Justement, nous somme tentés de nous interroger sur le rôle que le patronat devrait jouer dans cette dynamique. Pourquoi n’a-t-il pas été suffisamment actif ?
 
Il faut savoir que deux mesures seulement ont été retenues par le gouvernement sur les 20 que la CGEM avait proposées, d’autant plus que celles-ci n’ont été appliquées qu’en octobre dernier. Le problème réel du patronat aujourd’hui est indéniablement le manque de ressources humaines qualifiées sur le marché du travail.
 
Que prévoit concrètement le patronat dans les prochaines semaines concernant cette problématique de l’emploi ?
 
Nous n’avons eu de cesse d’appeler à la tenue d’un sommet social dans lequel nous discuterons de toutes ces problématiques. Pour le moment, nous n’avons eu que des réunions informelles avec les responsables gouvernementaux, mais cela dit nous prévoyons une rencontre officielle avec le ministre de tutelle à la mi-février. Celle-ci sera l’occasion de discuter de nombreuses idées que nous comptons émettre, notamment dans les dossiers de la formation, de la compétitivité, de la flexibilité du code du travail, ou encore de son amendement.
 
@Les Echos